Je sors. Il fait froid dehors. Il est 8 heures du matin. Les trottoirs et les voitures sont recouverts d’un manteau blanc. Et moi je suis emmitouflée dans un manteau marron. Un manteau d’Indien ou d’Esquimau, au choix.
Je tente tant bien que mal de ne pas glisser sur la piste de luge improvisée par Dame Nature. Pas envie de tomber maintenant, pas le temps de m’amuser là. Je suis déjà en retard. J’arrive à la bouche de métro et m’y engouffre en coup de vent. Vite, le RER C, le pire RER qui existe après le A, ou avant, au choix. Problèmes de voies, train annulé, passager malade, tout y passe. Pourtant j’avais prévu de l’avance.
C’est pas mon jour. Sur le RER C, c’est jamais votre jour. Coincée entre tous ces gens comme une sardine dans une boîte, je pense à la mer. Aux vacances. Et la sonnette du RER me sort de ma transe. Je peux enfin m’asseoir, je trouve une place au milieu de toutes ces sardines à l’huile, ces gens pressés, désespérés du RER C. Je sors mes cours, mes fameuses feuilles de Techniques du Commerce International, ou comment faire passer de la coke à la douane. Et j’entends :
- Tu es à l’IUT toi aussi ?
- Oui, pourquoi ?
- On est en retard pour les partiels, à 4 ça passera mieux que seul, une chance qu’on se soit trouvés !
Des gens de mon IUT, génial ! Au moins je ne suis pas seule, je ne suis plus seule. Mais je me sens seule.
Depuis quelques temps, j’ai l’impression que mes amis sont moins présents. Je ne les blâme pas, ils ont leur vie à gérer et d’autres choses à faire. Mais moi je vais mal, peut-être plus mal encore que quand j’étais en crise. Là aussi je suis en crise, mais d’une autre façon. Je suis insomniaque depuis un mois. Au départ, c’était à cause de la cortisone. Plus maintenant, je n’en prends plus depuis que je suis guérie. Mais je ne dors plus la nuit. Des idées se tournent et se retournent dans ma tête et je fais la même chose dans mon lit. Ce n’était pas gênant au début, maintenant ça l’est un peu plus.
Depuis une semaine, je suis en partiels. Depuis une semaine, je dors 3 heures par nuit. Depuis une semaine, je m’endors en partiels. Depuis une semaine, mon corps est flétrit. Je me sens fanée, moisie. Je n’ai plus d’énergie. Le jour mon corps se décompose et la nuit il revit. Je mange n’importe quoi à n’importe quelle heure. Dès que je sens que l’énergie s’évapore, je me nourris. Du coup, j’ai mal au ventre. J’ai l’impression que les acides de mon estomac remontent le long de mon œsophage. Ma bouche est sèche et mon haleine putride. Mes yeux tirent, ils sont desséchés comme ma bouche, le blanc n’est plus blanc, il vire au jaune. Ma peau, pas maquillée, plus le temps et plus l’envie de le faire, n’est pas blanche. Elle est diaphane. La neige à côté à l’air éclatante. Moi j’ai l’air d’un fantôme. C’est peut-être ce que je suis. On me fait la remarque D’où tu sors ce teint livide et cette tête d’enterrement ? Je ne réponds rien, pas envie d’étaler ma vie.
Ma vie ? Une catastrophe, une hécatombe, comme mes partiels. Il n’y a pas que les partiels dans ma vie, mais le reste est tout aussi nul, voir pire. Je suis sur le chemin du retour, j’ai fini ma journée, enfin mes partiels d’aujourd’hui, il me reste ceux de demain. Je marche sur la neige, prenant garde de ne pas trébucher, pas envie de m’amuser. Et j’avance, j’avance sans m’arrêter, pressée d’être rentrée, bien au chaud, chez moi. Je mets ma capuche, capuche à fourrure, fourrée. J’ai l’air d’une Indienne Bohémienne Bohème. Et c’est une vie rêvée. Une vie libérée. De toutes ces obligations, ces responsabilités, ces soucis qui me minent.
Résignée, je tourne ma clé dans la serrure et pose mes pieds sur le parquet.
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